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9h du matin. La circulation est impossible à Dijon. Trop de sens interdits, de GPS erroné, de voitures-balais, c'est fatal on arrive au retard pour le check-up. Pas de chance, à la Maison d'arrêt de Dijon, tout est chronométré.

On nous avait dit à Varennes que la différence entre un centre pénitentiaire et une maison d'arrêt, c'est que la première comprenait les peines longues, la perpétuité.

Alors que la maison d'arrêt n'est qu'une étape, tous les détenus en attente de condamnation passent par là, ceux qui restent ont été condamnés pour des peines mineures. Notre première réaction, ça a été de croire que du coup, l'ambiance serait moins difficile que dans un centre pénitentiaire. C'est bien tout le contraire.

Émilie, notre contact à Dijon, nous explique que c'est au départ que les conditions de détention sont les plus difficiles; les plus contrôlées.

Plus la peine est grave, plus la détention est longue, plus grande est la liberté donnée.

 

Varennes était un lieu de vie, Dijon est une maison de passage dont le fonctionnement dépend étroitement de "l'actualité criminelle" des environs. Pour preuve, les fameux "blocages" dispositifs d'urgence qui arrêtent momentanément toute activité, mouvement de la maison d'arrêt. Plus personne ne bouge, ne rentre, ne sort que ce soit dans les bureaux ou devant l'enceinte. Nous l'éprouvons deux fois. La première, après avoir checké le matériel, nous nous séparons pour aller chercher avec Constance l'équipe de captation qui est arrivée à la gare. A notre retour, un gardien nous demande de faire demi-tour, qu'on ne passe plus jusqu'à nouvel ordre. Une heure à attendre devant les murailles de l'enceinte. La deuxième fois nous devons attendre notre public, pendant 40mn. On ne peut pas savoir ce qui se passe... Comme l'a dit un des détenus :

"la patience n'est pas un choix, elle devient une habitude".

 

La Maison d'Arrêt est impressionnante. C'est un bâtiment ancien fin 19ème siècle, style caserne militaire, portes de cellules minuscules, on est loin des sas et couloirs modernes. Le plus marquant reste le centre du bâtiment: la fameuse salle de contrôle du Corbusier, une construction qui permet d'épier les faits et gestes de tout le monde sur 360°. L'architecture conditionne totalement le fonctionnement de l'établissement. La pression est palpable.

Et pourtant. Quand après 40 mn d'attente, la porte s'ouvre, c'est 45 détenus, hommes et femmes confondus, jeunes et vieux, français et étrangers qui viennent prendre place. On serre la main à tous, il n'y a pas assez de chaises, pourtant la direction avait été prévenue, il y avait plus d'inscrits que de chaises dans la salle, c'est donc dans l'urgence que de nouvelles chaises doivent être amenées. En attendant on patiente, encore.

On discute pour passer le temps:

 

"parait qu'il y a des spectacles une fois par moi à Dijon, vous avez vu des trucs bien?

- On sait pas, on vient d'arriver, on vous dire pour la prochaine fois"

"Bon on va filmer, vous inquiétez pas, on fera en sorte de conservez votre anonymat, ça va servir de support à d'autres prisons, vous êtes un peu notre public test quoi

- alors vous voulez qu'on applaudisse fort c'est ça?

-bah c'est comme vous le sentez

-moi j'ai les mains un peu froides j'ai plus trop l'habitude de taper avec il va falloir être bon

- on va vérifier ça tout à l'heure alors..."

On a vérifié, ça été très clair, une chaleur comme on en connait peu:

il faut imaginer une représentation avec trois acteurs et 40 partenaires...

Ils ont nous rythmé cadencé apprécié commenté applaudi entre chaque séquence, c'étaient eux qui menaient réellement le spectacle, et nous qui suivions la cadence, toujours se faire des passes en continu. Il n'y a pas eu d'avant, ni d'après, on essaye de s'assoir pour discuter, très vite on se relève, un homme nous propose de repartir "avec quelque chose dans les oreilles", il demande un micro, nous rap "L'alphabet" accompagné par Théo le régisseur son qui lui a balancé la piste son hip-hop du spectacle. Un autre voudra après rappé, deux portugais un homme et une femme se rencontrent et se rendent compte qu'ils sont portugais tous les deux, ils voudraient qu'on mette du fado, le benjamin du groupe insiste, "c'est bien ce que vous faites sérieusement", un des plus vieux nous confie qu'ici aussi ils savent écrire, ils vont nous faire parvenir des choses, et puis il y a la danseuse qui ne veut pas danser le flamenco sans Kendji le chanteur mais qui me confie qu'on vient du même coin, une autre femme nous demande si l'on peut lui faire parvenir les textes des Douleurs, ça l'a beaucoup touché elle voudrait pouvoir le lire c'est possible? Et qu'est ce qu'il fait là le type avec son casque et sa perche? c'est David, il prend le son "BIG UP DAVID!"

Les hommes nous aident à ranger

"wouah l'autre il prend 4 chaises à une main il fait preuve d'orgueil là

-oui mais c'est pour aider, c'est pas mal alors

- moi j'appartiens au trois religions, torah coran la bible, dans les trois l'orgueil c'est péché

- et le spectacle t'a plu?

-carrément"

Impossible de tout dire, comment vous la décrire, la fête, au milieu des murailles, qui vous fait pousser la chansonnette devant les surveillants alors que quelques heures avant tout le monde regardait ses pieds?

L'un deux nous dira: "il faisait un peu gris ce matin, finalement, vous avez apporté le soleil". On pose devant l'enceinte, un couple d'ado amoureux prend la photo. Dijon, tenemos en la piel.


 

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